La définition et la conduite de la stratégie de l’entreprise est souvent le pré carré des seniors managers, pour la raison qu’ils possèdent l’expérience et une connaissance large de l’entreprise et du marché. Parmi eux, les financiers ont toujours eu la part belle, car il faut de l’argent pour développer une entreprise.
Depuis une dizaine d’années, plusieurs entreprises, lancées dans une transformation numérique, ont dérogé à cette pratique et ont associé les architectes d’entreprise à la définition de leur stratégie. On peut citer, entre autres, la SG, Air Liquide, ou plus récemment, les Mousquetaires.
Qu’apporte l’Architecture d’Entreprise à cette vieille discipline qu’est la stratégie ?
Elle y ajoute une théorie solide qui permet d’intégrer l’ensemble des approches stratégiques. Cette théorie, inspirée de l’approche militaire, postule que chaque entreprise possède des capacités d’action (capability) vis à vis des marchés où elle intervient.
Une capacité d’action (capability) est la capacité de valoriser les ressources tangibles et intangibles à disposition de l’entreprise pour mener les actions sur ses marchés. L’analyse stratégique consiste à évaluer les actions de l’entreprise, à établir un diagnostic, puis à définir les évolutions capacitaires nécessaires pour être en mesure de dérouler les actions qui mènent à la cible stratégique.
Prenons l’exemple de l’entreprise « Joule » qui produit des pompes à chaleur, elle prospère, avec quelques concurrents, sur ses marchés depuis plus de vingt ans. Le business model repose sur le valeur du produit, car le meilleur produit emporte les meilleurs affaires au prix le plus élevé. Depuis vingt ans, Joule a un portefeuille de produits qui couvre les besoins des clients, a développé des savoir-faire considérables et un réseau de partenaires. Elle a un capital solide, des infrastructures et des compétences de bon niveau. Ces ressources elles les a développé grâce aux remarquables capacités de de développement du portefeuille de produits et services, de support (logistique, infrastructure, ressources humaines), de finance et de contrôle de gestion, tout cela coordonnée par une remarquable capacité de management stratégique. Il faut noter que l’entreprise « Joule » ne produit pas, elle ne fait que réaliser l’assemblage final de composants produits par ses partenaires.
Les actionnaires de l’entreprise Joule souhaitent demeurer les leaders du marché des pompes à chaleur. Pour cela, l’entreprise doit maintenir l’excellence de son portefeuille de produits, notamment s’agissant des nouveautés et elle doit maîtriser les coûts de production pour dégager le maximum de réinvestissement.
Après une analyse du portefeuille de produits, avec des approches de type BCG ou McKinsey, il a été décidé de développer les services digitaux sur les pompes à chaleur et améliorer le time to market des nouveautés. Néanmoins, l’entreprise souhaite préserver l’équilibre de son portefeuille de produits et introduire progressivement les nouveautés. Elle a fait des simulations de scénarios d’évolution du marché qui montre que les clients sont relativement conservateurs. Enfin la maîtrise des coûts est une bataille de long terme, déterminante pour le business model de « Joule ».
Cet exemple montre parfaitement la vertu intégratrice, systémique, de l’architecture d’entreprise, sans compter qu’à partir de ce modèle, on établi facilement les liens entre les composants de l’entreprise et les projets de transformation à mener. C’est ce que nous ferons à la fin de l’article.
Discutons d’un second exemple, l’entreprise « Vbert », afin d’apprécier les possibilités de contextualisation de l’approche « Enterprise Architecture ». L’entreprise Vbert est une startup dont le business model repose sur la vente de produits et services complexes en B2B. Elle révolutionne les processus de vente complexes en les rendant les plus directs et les plus simples possibles. La valeur de l’entreprise Vbert se mesure non seulement au nombres de clients, mais surtout au nombre d’utilisateurs inscrits sur sa plate-forme qui sont des clients potentiels.
Tout nouveau service ou produit est évalué selon le nombre de clients ou d’utilisateurs supplémentaires, celui qui n’en attire pas suffisamment est rapidement écarté. L’entreprise Vbert est financé par les tours de table d’investisseurs qui sont persuadés qu’elle sera un jour très rentable. Elle doit démontrer que chaque euro investi dans l’entreprise sert à la développer, c’est à dire à accroître le nombre de clients et d’utilisateurs. Elle a une remarquable équipe de développement et tous ses projets d’évolution sont réalisés en adoptant des démarches agiles. Elle a également une équipe de senior managers remarquable pour le management stratégique.
L’entreprise Vbert conçoit sa stratégie au moment où elle prépare ses appels à investissements. Elle élabore un solide business case et fait le tour des fonds en présentant le pitch de la phase suivante du développement de l’entreprise. Dans ce pitch, elle évoque comment elle compte développer son portefeuille de produits et services pour attirer le maximum de clients et d’utilisateurs dans les mois qui suivent. De la même façon, l’équipe de senior managers doit adapter en permanence son approche de vente de la stratégie aux investisseurs potentiels.
La réalisation de ces orientations stratégiques ont un impact considérable sur la gestion des clients et par ricochets sur la conception et la gestion des services. Tout cela va permettre de définir et de réaliser les initiatives qui vont permettre de faire passer la startup Vbert au stade de licorne.
L’architecture d’entreprise permet d’aller au delà de la définition de la Stratégie, elle permet relier les actions de la feuille de route stratégique au portefeuille de programme. En effet, chaque capacité (capability) est une combinaison de processus métier, d’acteurs, de rôles et de responsabilités, de systèmes d’information, de savoir-faire. L’architecture d’entreprise définit les programmes à partir des évolutions des composants des capacités qui mettent en oeuvre chaque action.
Si l’on reprend l’entreprise Joule et si l’on se focalise sur les actions « Develop digital services » et « Improve Time to market », leur mise en oeuvre font évoluer les composants de la capacité « Product and service development » et constitue le programme « Design & Marketing change ».
Les exemples présentés n’ont d’autres ambitions que de faire entrevoir les possibilités de la démarche. Celle-ci peut se décliner plus en détails pour des cas plus fournis et complexes, et être un outil permettant une vision large et synthétique.
Alors, associez les architectes d’entreprise à la conception de la Stratégie de votre entreprise et à la définition de sa mise en oeuvre.